Aux
antipodes de la thèse uruguayenniste (1) dont je vous parlais
il y a quelques jours avec une nouvelle polémique ouverte par Martina Iñíguez
dans El País (voir mon article du 22 octobre 2012 à ce
propos), le Museo Casa Carlos Gardel, Jean Jaurès 735,
inaugurera demain, jeudi 25 octobre 2012, une exposition des lettres
de Berthe Gardes, la mère de Carlos Gardel. (2)
Ces
lettres appartiennent à un fonds d'archives dit Colección
Gardel-Defino, du nom du dernier fondé de pouvoir de
l'artiste, que Berthe Gardés institua son légataire
universel à sa propre mort, en 1943. Dans sa correspondance,
avec son fils, avec sa famille restée à Toulouse, avec
des amies, Berthe Gardés parle abondamment et avec tendresse
de son fils et le sujet redouble après la tragédie de
Medellín, le 24 juin 1935, lorsqu'il trouva la mort
accidentellement alors qu'elle-même se trouvait chez son frère
à Toulouse.
L'inauguration
aura lieu demain à 19h (entrée libre et gratuite). Et vendredi 26 octobre, le lendemain, se donnera une
double conférence dans le patio du musée :
Laura
Orsi parlera du contenu de la correspondance, sous le titre Siempre
lo espero (je l'attends encore et toujours), une phrase que la mère
répétait souvent après juin 1935.
Adriana
Guraieb parlera elle de la vie de Berthe Gardes et en particulier du
fait de sa maternité hors mariage qui la porta à
immigrer en Argentine où elle put se faire passer pour veuve, une situation honorable, alors que celle de fille-mère dans une ville modeste comme la Toulouse de la fin du 19ème siècle. Le titre de la conférence : Berthe, pionera (3) de la familia
monoparental – el estigma social de la madre soltera y la
migración. Donc une vision plus
socio-historique dans le cadre de cette exposition.
Il y
a fort à parier qu'elle sera émouvante à
regarder, cette expo, qui durera un mois, jusqu'au 25 novembre 2012,
de 11h à 18h. Entrée : 1 $ (peso argentin), sauf le
mercredi où le musée est gratuit.
Son
titre, En fin, reprend une expression avec laquelle elle débutait
souvent ses lettres, en français comme en espagnol. Enfant,
elle avait vécu au Venezuela où sa mère, séparée
de son père mais non encore divorcée, et son amant, qui
allait devenir son second mari plus tard, étaient allés
cacher une grossesse adultérine. Toute la famille, Berthe, son
frère aîné, Jean, le petit Charles, leur
demi-frère, qui allait mourir sur le front le 11 octobre 1918,
la mère et son compagnon, avait vécu plusieurs années
en Amérique du Sud, avant de revenir en France, à
Bordeaux, où on ne les connaissait pas et quelques années
après, à l'âge de 25 ans, le même malheur
s'abattait sur Berthe, avec une nouvelle grossesse hors mariage. La
mère, folle de colère, rompit les liens avec sa fille,
qui dut s'enfuir à Toulouse pour y mener sa grossesse à
terme et y accoucher comme une pécheresse à l'hôpital
Saint-Joseph de Grave, une honte à une époque où
toutes les femmes honorables donnaient la vie chez elles, avec au
moins des voisines pour les assister si elles n'avaient pas assez
d'argent pour faire venir ne serait-ce qu'une sage-femme. Et comme
toutes les filles-mères de ces années-là, c'est
Berthe elle-même, tout juste accouchée, qui dut aller
déclarer la naissance de son fils à la mairie, dans les
trois jours comme la loi le veut.
Cette
déclaration est actuellement conservée aux archives
départementales, comme tous les documents administratifs passé
un certain délai, et les employés ont l'habitude
d'aller en chercher le registre dès qu'un citoyen argentin
pointe son nez dans le service. Tous les historiens du tango
connaissent cet acte de naissance comme beaucoup d'entre eux
connaissent aussi l'acte de baptême célébré
à la sauvette par l'aumônier de Saint-Joseph, devenu
aujourd'hui un hôpital public tout ce qu'il a de bien équipé
et d'efficace mais qui a conservé le sévère
aspect carcéral qu'il avait à sa fondation, quand un
hôpital servait à séparer la lie du peuple des
braves gens (c'est contagieux, la pauvreté), avec le mépris
et la bonne conscience des bien-pensants repus et charitables qui
faisaient tourner l'établissement.
(1)
Le Museo Casa Carlos Gardel est en effet, comme il est légitime,
gardien de la version historique, celle où Gardel est né à Toulouse le 11 décembre 1890. Parmi les pièces de
l'exposition permanente, il y a en effet le testament autographe de Gardel qu'il ouvre sur la reconnaissance de sa nationalité française
et de sa naissance à Toulouse, ce qui constituait un aveu
dangereux à la fin 1932 puisqu'il voyageait toujours avec des
papiers officiels le disant né à Tacuarembó, en Uruguay, et
il avait bien raison de les avoir conservés puisque, même en 1932, il n'était
pas dit qu'il pourrait échapper en toute quiétude
à l'attitude quelque peu revancharde de chauvins français
(qui d'ailleurs n'étaient pas toujours ceux qui avaient risqué
leur peau dans les tranchées). En 1936, cela aurait été plus simple car les menaces de guerre se faisant plus précises et plus concrètes, les patriotards de tous poils étaient plus enclins à un pacifisme qui fut d'ailleurs de très mauvais aloi... Ce testament fait partie des pièces plus que contestées par les uruguayennistes.
(2) Dans la thèse uruguayenniste, la pauvre femme en voit de toutes les couleurs. Bien évidemment, sa maternité ne colle pas avec la naissance à Tacuarembó puisqu'elle est française et que personne ne peut nier qu'elle ait accouché à Toulouse. On en fait donc la plupart du temps une prostituée qu'elle ne fut jamais et à qui les parents adultérins de Carlos Gardel aurait confié l'éducation de leur enfant. Comme si on confiait un nouveau-né à une prostituée. Et de là, un échafaudage impressionnant de circonstances pour tenter de démontrer qu'elle était bien à des dates qui varient présente dans les environs de Tacuarembó pour que cette substitution de mélodrame ait pu se réaliser...
(3) Pionnière, elle ne le fut guère. Dans ces années-là, c'était une situation de famille beaucoup plus courante qu'on ne le croit, tant en France qu'à Buenos Aires. Mais elle est certainement une référence en la matière pour la société actuelle où cette situation a acquis un autre statut et relève d'une multitude de circonstances, qui n'existaient pratiquement pas à l'époque (concubinage définitif, séparations de fait, divorces...)